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CHRONIQUE FISCALE : L'impôt sur le revenu des gérants des Sarl : rétablir une justice fiscale pour le gérant non associé

LA CHRONIQUE FISCALE N°001/NOV 2022[1]

L’impôt sur le revenu des gérants des Sarl : rétablir une justice fiscale pour le gérant non associé

Par Me Assiom K. BOKODJIN

Avocat au Barreau du Togo

 Expert-fiscaliste

 Inspecteur des Impôts diplômé

 Arbitre agréé

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Le gérant d’une société à responsabilité limitée en droit OHADA[2], que celle-ci soit unipersonnelle ou pluripersonnelle peut être un associé ou un tiers[3]. Lorsqu’il est associé et que la société est pluripersonnelle, il peut être majoritaire ou minoritaire. Dans ces différentes configurations, la situation patrimoniale issue des revenus du gérant connait des fortunes diverses et varie d’une situation à l’autre. Cependant, depuis 2018, le législateur togolais a uniformisé le régime fiscal des rémunérations du gérant de SARL, en particulier, les règles de détermination du revenu net imposable (I), sans tenir compte de cette diversité. Ce qui est source de rupture de l’équité fiscale (II).

 

I-                    La détermination du revenu net imposable des gérants des SARL

Aux termes de l’article 28 du Code Général des Impôts de 2022 (CGI), « Le revenu net imposable des rémunérations allouées aux gérants et aux associés de certaines sociétés visées à l’article 17 du présent code est déterminé en déduisant du montant brut des rémunérations, les frais inhérents à l’exploitation sociale et fixés forfaitairement à 20% desdites rémunérations. Cet abattement est fait sur la fraction du revenu n’excédant pas 10.000.000 de francs CFA.

Le montant brut des rémunérations comprend : l’ensemble des sommes dont le contribuable a disposé au cours de l’année d’imposition, qu’elles soient effectivement versées ou créditées en compte et la valeur réelle des avantages en nature à lui concédés.

Le revenu net ainsi déterminé est pris en compte pour le calcul de l’impôt à raison de son montant total sans abattement d’aucune sorte ». L’article 17 vise « les rémunérations des gérants des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple, des sociétés à responsabilité limitée, et des sociétés civiles ainsi que les rémunérations de l’associé unique de la société anonyme s’ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés.. »

Il résulte de ces dispositions que le gérant quel que soit son statut, associé ou non, associé majoritaire pouvant influencer seul la gestion des fonds de la société ou minoritaire devant compter avec les autres associés, est soumis à l’impôt sur le revenu (IR) calculé sur une base qui admet une déduction unique de 20% sur son montant brut n’excédant pas 10.000.000. Ne sont admises ni déduction de frais de remboursement, ni celle de primes d’assurances retraite, ni celle de cotisation à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, ni aucun autre abattement.

Est perceptible de ce régime la tendance du législateur à traiter la rémunération du gérant comme celle de l’exploitant individuel qui est exclue des charges déductibles et est imposée comme bénéfice distribuable[4]. Cette tendance se justifie pleinement pour le gérant associé unique et dans une moindre mesure pour le gérant associé majoritaire, mais non pour le gérant minoritaire encore moins pour celui qui n’est pas détenteur de parts dans le capital de la société. D’où la rupture d’égalité.

 

II-                 Un régime source de rupture de l’équité fiscale

L’équité fiscale qui résulte du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques consacré aux articles 11 et 47 de la Constitution togolaise[5] veut que deux contribuables ayant la même situation fiscale soient soumises aux mêmes impôts sans discrimination. A contrario, deux contribuables ayant des situations fiscales différentes ne doivent pas avoir les mêmes charges fiscales.

Ce principe est rompu aussi bien entre le gérant non associé et le gérant majoritaire qu’entre le gérant non associé et les autres contribuables soumis à l’IR catégorie des revenus d’emplois.

1-        Entre le gérant non associé et le gérant majoritaire

L’ancien article 29 al 1 et 2 du CGI avant la réforme de 2018, disposait ce qui suit : « Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations alloués d'une part aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée, et d'autre part à l’associé unique des sociétés à responsabilité limitée unipersonnelle, lorsqu’il s’agit d’une personne physique, aux associés en nom des sociétés de personnes et syndicats financiers lorsque ces sociétés ont opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 146, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires.

 

Le revenu net imposable est déterminé en déduisant du montant brut des rémunérations, les frais inhérents à l'exploitation sociale et fixés forfaitairement à 30% desdites rémunérations ».

 

Ainsi, le traitement particulier- par rapport aux règles générales de détermination de la base imposable des revenus d’emplois[6]- était réservé aux « gérants majoritaires » et à « l’associé unique » et l’unique abattement était de 30% sans limitation de la base. L’économie de cette disposition repose sur le postulat  que le gérant majoritaire ou l’associé unique ayant la maitrise plus ou moins totale de la gestion de la société peut organiser une érosion de la base imposable en s’attribuant des rémunérations ou émoluments, qualifiés parfois de remboursement de frais. Ces charges étant déductibles aux termes de l’article 99-c CGI, si elles devraient encore bénéficier de toutes les déductions et abattements accordés aux autres revenus d’emplois, le gérant bénéficierait d’un avantage fiscal disproportionné, voire d’une sorte de « double non-imposition ». En effet, il tire profit de la déduction de ces charges du bénéfice imposable à l’Impôt sur les Sociétés (IS) puisqu’il perçoit sa part dans les dividendes et ces charges ne supporteraient l’IR que sur leur portion congrue après toutes les déductions prévues aux articles 26 et 72 du CGI[7].

 

Avec la réforme de 2018, le législateur apporte comme changement à cet article 29 devenu  28, notamment la suppression du  mot  « majoritaires ». Ce qui postule que le gérant même s’il n’est pas associé et n’a aucune part dans les bénéfices réalisés par la société ni une maitrise totale dans la gestion de la société, devant rendre des comptes à l’assemblée des associés, est soumis au même régime fiscal que le gérant majoritaire ou associé unique. Il est traité au plan fiscal exactement comme « le propriétaire » de la société qu’est le gérant associé unique alors que sa situation n’est pas très loin d’un salarié. L’injustice est consommée. Elle l’est davantage lorsqu’on sait que le directeur général et le directeur général adjoint d’une société anonyme, pareillement mandataires sociaux comme le gérant, ont des rémunérations traitées fiscalement comme celles des salariés[8].

Cette rupture de l’équité fiscale est également constatée à l’analyse comparative de la situation des autres contribuables soumis à l’IR revenus d’emplois.

2-      Entre le gérant non associé et les autres contribuables soumis à l’impôt sur les revenus d’emplois

Le gérant lorsqu’il n’est pas associé est rémunéré uniquement par ses émoluments fixés non par lui-même, mais par les associés[9]. Son obligation de rendre compte couplée de la possibilité de sa révocation par l’assemblée des associés représentant la majorité simple des parts sociales[10] font de lui un travailleur dont le statut est proche de celui du salarié[11]. Si le contrat de travail est caractérisé par le lien de subordination dont le contenu reste assez flexible, notamment pour le cadre supérieur de l’entreprise, celui du mandataire social a pour critère principal l’obligation de rendre compte aux mandants qui peuvent le sanctionner sur la base de leur appréciation de son respect ou non des pouvoirs à lui confiés[12]. En cela, le gérant n’est pas loin d’un salarié fondé de pouvoir ou d’un cadre supérieur.

Ce dernier, en sa qualité de salarié, bénéficie de toute une série d’abattement et de déductions, dans la détermination de son revenu net imposable. En effet, suivant l’article 26 du CGI, le revenu net imposable est obtenu après déduction :

-des retenues en vue de la constitution de pension de retraite ;

-des retenues pratiquées par l’employeur en représentation de tout ou partie des avantages en nature concédés ;

-d’un abattement forfaitaire de 28% sur la fraction du revenu n’excédant pas 10 millions de francs ;

-des intérêts des dix premières annuités des emprunts contractés pour la construction, l’acquisition ou les grosses réparations du logement servant d’habitation principale du contribuable ;

-des intérêts des emprunts contractés pour faire un apport en capital à une entreprise industrielle ou commerciale ou à une exploitation agricole togolaise ;

-des arrérages de rentes payés à titre obligatoire et gratuit et les pensions alimentaires fixées par les articles 109 et suivants du code des personnes et de la famille ;

-des versements volontaires pour la constitution de retraite ou complément de retraite dans la limite de 6% du revenu net taxable ;

-des primes d’assurance versées aux compagnies agréées afférentes aux contrats d’assurance dont l’exécution dépend de la durée de vie humaine lorsque le contrat remplit certaines conditions.

En outre, il bénéficie de la déduction des charges de famille à raison de 10.000 francs par personne à charge  et par mois en vertu des articles 72 et 73 du CGI.

Par ailleurs, les allocations spéciales destinées à couvrir les frais inhérents à la fonction ou à l’emploi et effectivement utilisées conformément à leur objet qu’elles revêtent la forme d’indemnité forfaitaire ou de remboursement de frais sont affranchis de l’impôt[13].

Dans le même temps, les rémunérations du gérant non associé sont non seulement privées de toute déduction liée aux charges personnelles ou familiales, mais encore ne connaissent qu’un abattement de 20%. Aussi, les remboursements de frais et toute autre allocation destinée à couvrir les frais inhérents à ses fonctions sont-ils exclus du droit à déduction[14]. Le législateur les considère comme faisant partie des « frais inhérents à l’exploitation sociale » fixés forfaitairement à 20% des rémunérations du gérant.

Pour illustrer la rupture d’égalité et partant, l’injustice fiscale, prenons A comme gérant non associé d’une SARL X recruté en raison de ses compétences techniques en gestion financière pour une rémunération forfaitaire mensuel de 1.000.000 FCFA. Une autre SARL Y ayant le même objet et la même surface financière emploie un directeur financier B avec un salaire brut mensuel également de 1.000.000 FCFA. Les deux contribuables ont chacun 6 personnes à charge, ont souscrit à une assurance-vie avec un montant de prime annuelle de 800.000 et ont contracté un prêt immobilier pour la construction de leur premier logement d’habitation au taux d’amortissement annuel de 600.000.

A et B ont un revenu brut annuel de 12.000.000.

 

Calcul du revenu net imposable de A 

RNIa = RB- Abattement forfaitaire de 20%

Abattement = 10.000.000 x 20 % = 2.000.000

RNI = 12.000.000 – 2.000.000

RNIa = 10.000.000

Calcul du revenu net imposable de B

RNIb = RB- (CNSS + Déduction forfaitaire de 28% + Déduction pour charge de famille + Déduction assurance-vie + Déduction d’intérêt de prêt immobilier)

CNSS = 12.000.000 x 4% =480.000

Revenu Semi-Brut (RSB)

RSB = RB – CNSS

RSB = 12.000.000- 480.000= 11.520.000

Abattement = 10.000.000 x 28% = 2.800.000

Revenu après abattement = 11.520.000-2800.000 = 8.720.000

Déduction pour charge de famille (CF)

CF = 10.000 x 12x 6 = 720.000

Intérêts de prêt immobilier : 600.000

Prime d’assurances-vie : 800.000

Limite légale : 200.000 + (30.000 x 6) = 380.000

RNI = 8.720.000-720.000-600.000-380.000

RNIb = 7.020.000

 

Le revenu net imposable pour le contribuable A qui est gérant est donc de 10.000.000 alors que celui du contribuable B est de 7.020.000.

 

Les taux de calcul de l’impôt étant les mêmes suivant les articles 74 et 75 du CGI, il se trouve que le contribuable A qui a le même revenu et supporte les mêmes charges que le contribuable B supporte une charge fiscale plus élevée pour la seule et unique raison qu’il a la qualité de gérant.

 

Toutes choses égales par ailleurs, le directeur général d’une SA aura le même traitement favorable que le contribuable B alors que le gérant de SARL, mandataire social au même titre que lui subit un traitement différent.

 

A la fin, le métier de gérant de SARL, n’est pas fiscalement très reluisant.


[1] L’autre point de vue sur la législation fiscale, la pratique fiscale et la doctrine fiscale au Togo. Une contribution à la divulgation du droit fiscal, au civisme fiscal et à la justice fiscale.

[2] Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires dont fait partie le Togo et 16 autres Etats africains.

[3] « La société à responsabilité limitée est gérée par une ou plusieurs personnes, associées ou non » (article 323 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE)).

[4] Article 38-3 CGI.

 

[5] Tous les citoyens, homme ou femme, sont égaux devant la loi et ont le devoir de contribuer aux charges publiques dans les conditions fixées par la loi.

[6] Voir infra.

[7] Infra.

[8] L’article 17 CGI n’ayant pas visé les Directeurs Généraux et les directeurs généraux adjoints des sociétés anonymes, l’article 28 du CGI qui y renvoie n’est pas applicable à leurs rémunérations qui restent ainsi soumises à l’IR revenus d’emplois avec toutes les déductions et abattements prévus aux articles 26 et 72 CGI.

[9] Même lorsqu’il est associé, sa situation n’est pas très différente sur ce point car il ne prend pas part au vote de la délibération relative à sa rémunération et ses voix ne sont pas prises en compte dans le calcul de la majorité. Tels sont les termes de l’article 325 de l’Acte uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique.

[10] Art. 326 AUSCGIE

[11] Cette analyse est vraie aussi bien pour le gérant d’une SARL que pour le directeur général ou le directeur général adjoint d’une société anonyme (Voir note 7).

[12] Selon l’article 328 de l’AUSCGIE, les pouvoirs du gérant, dans ses rapports avec les associés, sont déterminés dans les statuts et c’est à défaut, qu’il « peut faire tous les actes de gestion dans l’intérêt de la société ».

[13] Art. 23 CGI.

[14] Art. 23 al 1 in fine.

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