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L’application de l’AUDCG aux baux conclus avant son entrée en vigueur : une symphonie inachevée

Revue Togolaise de Droit des Affaires et d’Arbitrage, N° 17, Janvier 2019, pp. 12-18
L’application de l’AUDCG1 aux baux conclus avant son entrée en vigueur : une symphonie inachevée
Par Me Noël Assiom BOKODJIN
Avocat au Barreau du Togo


« O temps, suspends ton vol ! Et vous lois nouvelles, suspendez vos effets ! ». Ainsi pourrait s’exclamer, nostalgique comme Alphonse de LAMARTINE2, la partie à un bail commercial conclu sous le régime antérieur à l’AUDCG qui voudrait voir ce contrat épargné des contraintes issues de la loi nouvelle.
Le droit et le temps, voilà un duo dont la relation étroite est souvent source de casse-tête pour le juriste. L’actualité récente à Lomé a illustré cette réalité à la suite d’un sujet proposé aux candidats à l’examen du C.A.P.A3. et relatif à un bail auquel il fallait déterminer, avant tout, la loi applicable. Lorsque deux ou plusieurs lois se succèdent dans le temps et sont destinées à régir une même situation qui les enjambe, il se pose la question de conflit de lois dans le temps.
Si les principes classiques de la non-rétroactivité de la loi, de son application immédiate aux situations en cours et de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle sont généralement suffisants pour apporter une solution à cette problématique, la question reste entière à la lecture de l’Acte Uniforme de l’OHADA4 relatif au Droit Commercial Général.
Cet Acte uniforme a régi plusieurs contrats dont le bail commercial rebaptisé bail à usage professionnel depuis la réforme entrée en vigueur le 15 février 2011.
Le bail étant un contrat à exécution successive, nombreux sont ces baux conclus avant le 1er janvier 19985 et qui se poursuivent après la réforme de 2011. Il y en a également, tout aussi nombreux, qui sont conclus après le 1er janvier 1998 et dont l’exécution se poursuit après 2011. Enfin, on en rencontre qui ont vu le jour avant 1998 et se sont poursuivis après cette date, mais sont arrivés à leur fin avant la réforme de 2011. Tous ces baux enjambent deux, voire trois régimes juridiques différents.
1 Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général.
2 Poète Français (1790-1869) dans son oeuvre Le Lac : « O temps, suspends ton vol ! Et vous heures propices, suspendez votre cours !... ».
3 Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat, sujet de rédaction d’acte de procédure, Promotion 2015-2017.
4 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires dont le Traité est signé à Port Louis à l’Ile Maurice le 17 octobre 1993 et révisé au Québec le 17 octobre 2008.
5 Date d’entrée en vigueur de l’AUDCG du 17 avril 1997.
Revue Togolaise de Droit des Affaires et d’Arbitrage, N° 17, Janvier 2019, pp. 12-18
Le régime du bail introduit par le législateur de l’OHADA a pour principal but de protéger le professionnel en lui assurant les conditions nécessaires pour une certaine stabilité indispensable à la survie de l’entreprise, grâce à la pérennisation de sa clientèle. Contrairement au régime de droit commun du louage d’immeuble6 dans lequel le bailleur peut facilement donner congé au preneur pour rompre le contrat, le droit au renouvellement, dont l’origine remonte à la loi française du 30 juin 1926 complétée par le décret du 30 septembre 1953, apporte une certaine rigidité dans la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur au profit de ce dernier.
Avant l’avènement de l’OHADA, ces baux étaient soumis à la législation antérieure7 qui, pour la plupart des Etats membres, se trouve être le droit commun du louage d’immeuble. Conformément à ce régime, les parties au contrat de bail prévoient souvent une clause de reconduction tacite en vue de son renouvellement.
Ensuite, vint l’Acte uniforme du 17 avril 1997 avec un régime bien inspiré de la loi française.
A cette étape de l’évolution législative dans l’espace communautaire, la question se posait déjà et continue de se poser de savoir à quel texte ces baux restaient-ils soumis. La législation sous l’égide de laquelle ces contrats étaient conclus ? Ou l’Acte uniforme du 17 avril 1997 ? Plus spécifiquement, à quelle règle doit-on soumettre le renouvellement d’un bail commercial conclu avant 1997 et dans lequel les parties avaient peut-être déjà prévu les conditions de renouvellement ?
Alors que la solution à cette question n’était pas encore bien assise, intervint la réforme du 15 février 2011 abrogeant l’Acte uniforme de 1997 pour en laisser un autre en ses lieu et place.8 Les baux conclus avant cette réforme restent-ils soumis à l’Acte uniforme de 1997 ou reçoivent-ils application des dispositions postérieures issues de la réforme ?
Si théoriquement, la solution à ce problème permettrait de mesurer la portée en droit OHADA des principes classiques qui règlent la question des conflits de lois dans le temps, elle revêt, à notre avis, un intérêt beaucoup plus pratique. Il y a, en effet, dans les pays de la zone OHADA, un nombre important de baux commerciaux qui enjambent deux, voire trois régimes différents avec plusieurs aspects sources de litiges. L’aspect le plus prolifique en différends demeure le renouvellement ou mieux le refus de renouvellement du contrat. Considérons un bail à durée déterminée dans lequel les parties ont inséré une clause de tacite reconduction valable sous l’égide du droit antérieur à l’Acte uniforme.
6 Il s’agit des articles 1713 à 1762 du code civil français d’avant 1960 applicable dans la plupart des pays de la zone OHADA.
7 En dehors de quelques rares pays dont le Sénégal et le Mali qui avaient adopté des lois régissant les contrats civils et commerciaux, c’était le code de commerce français d’avant 1960 qui était applicable dans la plupart des ex-colonies françaises sous le bénéfice d’une loi du 7 décembre 1850.
8 Article 306 de l’AUDCG du 15 décembre 2010 : « Le présent Acte uniforme abroge l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant sur le droit commercial général ».
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Celui-ci, entrée en vigueur postérieurement à ce contrat, n’a pas prévu la tacite reconduction. Mieux, il a introduit des règles impératives appelées à régir le renouvellement du bail. Le preneur doit, suivant l’article 92 de l’ancien Acte uniforme et 124 du nouveau texte, demander le renouvellement trois (03) mois au plus tard avant l’expiration du bail, sous peine d’être déchu de son droit au renouvellement. Le preneur qui, pour une raison ou une autre, manque d’observer cette substantielle formalité s’expose à son expulsion pure et simple des locaux si le droit OHADA doit s’appliquer à son contrat. En revanche, si le principe de la survie de la loi ancienne devrait recevoir application, le renouvellement lui serait acquis à la faveur de la clause de tacite reconduction. Quelle doit être la posture du Juge de l’OHADA face à ce dilemme?
Le législateur est resté muet sur ces questions. Ni l’Acte uniforme de 1997 ni celui de 2010 n’ont apporté la moindre solution9. Aucune disposition transitoire n’a réglé le problème.
Quelques juridictions nationales et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage se sont néanmoins prononcées.
La Cour d’Appel de Port gentil au Gabon a eu à faire face à ce problème au sujet de baux commerciaux conclus en 1992 et renouvelés en 1996. Le litige est né lors de la résiliation intervenue à l’initiative du bailleur en 1999, deux ans après l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme de 1997. Le preneur réclamait une indemnité d’éviction en invoquant les dispositions d’ordre public de l’article 94 de cet Acte uniforme. Le bailleur, naturellement s’opposait à cette demande en soutenant que l’Acte uniforme était inapplicable au cas d’espèce. Le premier juge adopte la solution de la survie de la loi ancienne et donne gain de cause au bailleur. Saisie en appel, la Cour d’Appel de Port Gentil infirme le jugement avec les motifs suivants : « L’article 10 du Traité (…) dispose que les Actes Uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne antérieure ou postérieure ; considérant qu’en vertu du principe de l’effet immédiat de ces Actes, les baux commerciaux en cours conclus avant le 1er janvier 1998 sont désormais régis par les dispositions de l’Acte uniforme relatif au Droit commercial Général qui abroge la loi française de 1926 applicable au Gabon et ayant le même objet.. »10.
Une autre Cour d’Appel, celle du Littoral au Cameroun, semble s’être prononcée en faveur de la solution inverse. Elle retient en effet dans un arrêt du 02 juillet 2007 que « Dès
9 Contrairement à d’autres Actes uniformes qui ont consacré des dispositions transitoires à la question. Il en est ainsi notamment de l’Acte Uniforme relatif au transport de marchandises par route dont l’article 30 dispose : « Les contrats de transport de marchandises par route conclus avant l’entrée en vigueur du présent Acte uniforme demeurent régis par les législations applicables au moment de leur formation ». De même, l’article 150 de l’ancien Acte uniforme relatif aux sûretés, reconduit dans l’article 227 du nouvel Acte adopté le 15 décembre 2010 retient clairement que ce texte « n’est applicable qu’aux sûretés consenties au constituées après son entrée en vigueur » et que « les sûretés consenties ou constituées antérieurement au présent Acte uniforme et conformément à la législation alors en vigueur restent soumises à cette législation jusqu’à leur extinction ».
10 CA de Port Gentil, arrêt du 9 décembre 1999, Société Kossi c/Paroisse Saint Paul des Bois, Penant n°837, septembre-décembre 2001, p. 345, ohadata J-02-45.
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lors qu’un bail commercial a été conclu après la date d’entrée en vigueur de l’Acte uniforme OHADA portant sur le Droit commercial Général, ce bail doit être soumis non pas au Droit national antérieur mais aux dispositions de l’AUDCG relatives au bail commercial ».11
Dans ce contexte, l’intervention de la haute juridiction communautaire censée unifier l’interprétation et l’application de la loi uniforme était particulièrement attendue.
Par un arrêt du 10 juin 2010, elle est intervenue en faveur de l’application de l’Acte uniforme de 1997 aux baux conclus avant son entrée en vigueur. Il s’agissait de baux commerciaux conclus verbalement en 1988, puis renouvelés par écrit en 1993, 1995 et 2002. Le bailleur qui était en l’espèce, l’Etat guinéen a résilié ces baux en 2005. Le preneur invoque les dispositions protectrices de l’Acte uniforme pour assigner l’Etat guinéen en paiement de l’indemnité d’éviction. Ayant perdu devant les juridictions nationales, il a formé pourvoi devant la CCJA. L’Etat guinéen soutenait que celle-ci devait se déclarer incompétente aux motifs que l’exécution des baux en cause a commencé en 1988, date antérieure à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme en Guinée qui est le 21 novembre 2000 et que ces baux constituent une situation juridique née sous l’empire de l’ordre juridique guinéen antérieur à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme sur le droit commercial général. La Cour a répondu en ces termes : « Bien que les contrats liant Kabinè KABA et 5 autres soient conclus avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme sur le droit commercial général en République de Guinée, la rupture desdits contrats (…) est intervenue après le 21 novembre 2000, date d’entrée en vigueur de l’Acte uniforme sus-indiqué ; qu’il s’ensuit que c’est en application des dispositions dudit Acte uniforme que la rupture doit être faite conformément à l’article 10 du Traité aux termes duquel les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne antérieure ou postérieure »12.
A travers cet arrêt, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a consacré le principe de l’application immédiate de l’Acte uniforme aux baux conclus avant son entrée en vigueur. Le renouvellement ou le refus de renouvellement du bail conclu avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme doit donc obéir aux dispositions de ce dernier.
Qu’est-ce qui justifie une telle solution ? Le fondement retenu par la Cour Commune est-il satisfaisant ? Une telle solution reste-elle pertinente pour chaque disposition de l’Acte uniforme ? Le juge communautaire ne pouvait-il pas prendre en compte la particularité de chaque contrat ?
11 CA du Littoral, arrêt n°100/CC du 02 juillet 2007, affaire WATAT Oscar C/ EPE MINTANGA Dieudonné, Ohadata J-07-197. Une lecture a contrario de cette décision laisse penser que selon cette juridiction, si le bail était conclu avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, celui-ci ne serait pas applicable.
12 CCJA, arrêt n°040/2010 du 10 juin 2010, aff. Kabinè KABA et 5 autres C/ Agence judiciaire de l’Etat de Guinée, Recueil de Jurisprudence n° 15 Janv-Juin 2010, p. 91 ; Juridata n°J 040-06/2010.
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Si la solution ainsi adoptée par la haute juridiction est, dans son principe, la mieux adaptée, à notre avis, au regard des objectifs de la réforme apportée par l’OHADA (I), il reste que son fondement est sujet à caution (II). De plus, la question de sa circonspection peut se poser.
I- L’application immédiate de l’Acte uniforme, une solution adéquate en son principe
A la suite de la Cour d’Appel de Port Gentil, la CCJA a préféré le principe de l’application immédiate de l’Acte uniforme aux baux en cours avant son entrée en vigueur et par voie de conséquence à leur renouvellement (B). Cette solution écarte le principe classique de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle qui parait inadapté au regard des enjeux en présence en matière de baux commerciaux (A).
A- L’inadaptation de la solution de la survie de la loi ancienne
Le vénérable article 2 du code civil, selon lequel « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » a donné lieu à deux grands principes en matière d’application de la loi dans le temps. La non-rétroactivité de la loi nouvelle et son application immédiate aux situations juridiques en cours. Le second de ces principes suggère que lorsque la loi nouvelle entre en vigueur, elle reçoive immédiatement application aux situations juridiques nées avant son entrée en vigueur mais qui se poursuivent après celle-ci. Exceptionnellement, les situations contractuelles obéissent à un régime différent. Le contrat est, en effet, un instrument de prévision par lequel les parties cristallisent dans le temps, leur volonté actuelle.13 « Grâce au contrat, la volonté organise l’avenir », dira Laurent Aynes.14 Le contrat repose donc su r la volonté des parties exprimée à l’aune d’un certain état du droit positif. Dès lors, soumettre le contrat à la loi nouvelle, c’est modifier les bases sur lesquels les parties ont édifié leur accord. C’est prendre le risque de rompre l’équilibre du contrat et, par là même, ruiner son fondement. 15 Plus explicitement, écrit Sylvain MERCOLI, « toutes les fois que le contrat n’a pas épuisé l’intégralité de ses effets, le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle contredit les prévisions contractuelles des parties. L’équilibre recherché par ces dernières, en fonction de la législation applicable au moment de la conclusion de leur accord est alors rompu ».16
13 Doyen WOLOU Komi, Nouvel éclairage sur le refus de révision du contrat pour imprévision, Revue Togolaise des Sciences Juridiques, n°0000, p.11.
14 Laurent AYNES, La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, Economica, Collection Droit Civil, 1984, n°4, page 12.
15 CAPITANT, TERRE et LEQUETTE, Grands arrêts, Tome I, 11ème éd. Page 36
16 Sylvain MERCOLI, La rétroactivité dans le droit des contrats, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2001, page 290.
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C’est en raison de ces considérations se rapportant à l’exigence de la prévisibilité du droit indispensable à la sécurité juridique dans le rapport contractuel que la Cour de Cassation a retenu, comme exception au principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle, que « les effets d’un contrat sont régis par la loi en vigueur à l’époque où il a été passé. »17 C’est le principe dit de la survie de la loi ancienne posé pour la première fois, sous le couvert de la théorie des droits acquis, par un arrêt du 20 juin 1888.18
Il reste à se poser la question de savoir si la loi ancienne mérite de survivre quelles que soient ses imperfections que vient d’ailleurs souvent corriger la loi nouvelle. Dans le contexte de l’espace communautaire, le tableau que présentaient les législations anciennes avant l’avènement de l’OHADA était en effet source d’insécurité juridique avérée pour les investisseurs. Les règles étaient éparses, incertaines et anachroniques. L’élément moteur du processus ayant abouti à la signature du Traité de Port Louis était la nécessité d’instaurer un climat de confiance propice aux investisseurs par l’adoption de règles harmonisées19, sûres, stables, prévisibles et connues, permettant un arbitrage des différends contractuels et la facilitation des activités des entreprises.20
Nombreux sont les baux conclus sous l’égide de ces législations « défectueuses », sources d’insécurité pour le climat des affaires. Appliquer le principe de la survie de la loi ancienne reviendrait à maintenir ces baux dans l’insécurité et ce, peut-être, pour très longtemps encore. Ce serait exclure une frange importante d’investisseurs des fruits de la réforme. Tous les preneurs bénéficiaires d’un bail commercial conclu avant 1997 seraient ainsi condamnés à subir les conséquences des mauvaises humeurs des bailleurs qui pourraient leur refuser le renouvellement sur un coup de tête, sans aucune indemnisation.
Cette solution, de toute évidence, parait inadaptée au regard des objectifs des Etats parties au Traité.
Pour avoir un sens pour les preneurs, la réforme accueillie comme une véritable bouffée d’oxygène pour les législations de ces Etats devait s’appliquer aux baux en cours.
B- La pertinence de l’application immédiate aux baux en cours d’exécution
En décidant que l’Acte uniforme sur le Droit Commercial Général est applicable aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur, la CCJA a adopté une solution pertinente, au moins en son principe. La sécurité juridique et judiciaire poursuivie par le Traité OHADA et ses suites ne pouvait, en effet, pas être atteinte si cet Acte uniforme ne s’appliquait pas aux baux en cours. Il consacre le statut du bail commercial, un régime protecteur destiné à assurer une stabilité au commerçant et à tout professionnel. L’importance de cette finalité justifie d’ailleurs le caractère d’ordre public accordé à la
17 Civile, 15 juin 1962, Bull. Civ. III, n°313, page 258.
18 Dalloz 1889, 1. Page 26.
19 Même si, finalement, c’est la méthode d’unification qui a été retenue par les Etats parties.
20 Babacar GUEYE, et Saidou TALL, Commentaire du Préambule du Traité OHADA, Code OHADA 4ème éd., p. 24.
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plupart des textes régissant ce contrat. Comment un tel objectif pourrait t-il être atteint si le commerçant se trouve exclu du bénéfice de ce régime protecteur simplement parce qu’il a conclu son contrat avant son entrée en vigueur ? L’intérêt socio-économique de la réforme justifie donc son application immédiate aux contrats en cours.
Dans la jurisprudence française, il était déjà admis, à ce propos, que le principe de la survie de la loi ancienne doit être écarté au profit de l’application immédiate de la loi nouvelle lorsqu’on est en présence d’un intérêt social tellement impérieux que la stabilité des conventions ne saurait y faire échec. La question s’était posée en France à l’entrée en vigueur de la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que les dispositions de cette loi « qui répondent à des motifs impérieux d’ordre public sont applicables, dès la date d’entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours ».21
Le motif impérieux d’ordre public, selon l’expression consacrée par la Cour de cassation française, est ainsi un critère permettant de rendre immédiatement applicable, aux contrats en cours, une nouvelle loi. Un courant doctrinal également favorable à l’application immédiate de la loi nouvelle préfère la notion de « statut légal ». Selon ce courant incarné par Paul ROUBIER22, le statut s’impose aux contractants parce qu’il résulte de la loi et non de leur volonté. La loi nouvelle consacrant ou modifiant ce statut est donc d’application immédiate aux contrats en cours même en l’absence de dispositions transitoires dans ce sens.
La protection du commerçant ou du professionnel dans l’environnement économique contemporain à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme, nous semble-t-il, répond parfaitement aussi bien à l’exigence d’un motif impérieux d’ordre public23 qu’à la notion de statut légal. Sur ce dernier point, on parle volontiers de statut du bail commercial constitué par un corpus de règles s’imposant aux parties qui décident de conclure un tel contrat.
L’important intérêt économique que revêt le processus de réforme apporté par l’OHADA aux Etats parties étant un secret de polichinelle, nul ne peut contester le fait que l’Acte uniforme relatif au Droit commercial général dans son ensemble et les articles relatifs au bail professionnel en particulier répondent à des motifs impérieux d’ordre public. L’application immédiate de l’Acte uniforme aux baux conclus avant son entrée en vigueur revêt, dès lors, un intérêt économique certain et parait, de ce point de vue, pertinente.
Dans l’affaire déférée devant la Cour d’Appel de Port Gentil, le preneur aurait été évincé sans la moindre indemnisation si, comme le premier juge l’avait retenu, l’Acte uniforme
21 Commerciale, 3 mars 2009, pourvoi n°07-16.527, Bull. Civ. IV, n°31.
22 Paul ROUBIER, Le Droit transitoire (Les conflits de lois dans le temps), 2è éd., Paris, Dalloz et Sirey, 1960, VIII.
23 D’autres arrêts ont parlé de « motifs impérieux d’intérêt général » (Voir en ce sens, Civile 1ère, 29 avril 2003, Bull. Civ I, n°100).
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ne recevait pas application au bail en cause signé en 1992 puis renouvelé en 1996.24 De même, l’Etat guinéen, dans le litige porté devant la CCJA, s’en serait tiré facilement après avoir rompu six (6) contrats de bail commercial avec six (06) preneurs différents, rupture conforme au droit antérieur, mais en violation des dispositions de l’Acte uniforme.
La solution de l’application immédiate semble, en définitive, heureuse.
Un bémol cependant mérite d’être apporté. Lorsque le bail contient une clause plus favorable au preneur que la disposition de l’Acte uniforme ayant vocation à s’appliquer, doit-on écarter cette clause au profit de l’Acte uniforme dont l’application aboutirait à la fin du contrat au détriment du preneur ? C’est l’hypothèse de la clause de tacite reconduction.
Ce type de clause n’est pas prévu par l’Acte uniforme. Mieux, les articles relatifs au renouvellement du bail sont d’ordre public. L’application immédiate de l’Acte uniforme, dans ce cas de figure, aboutirait facilement à la fin du contrat et à l’éviction corrélative du preneur sans indemnité d’éviction. Le preneur bénéficiaire d’un bail à durée déterminée conclu avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme avec une clause de tacite reconduction, fort de celle-ci, peut manquer de demander le renouvellement trois (03) mois avant la date d’expiration du bail comme l’exigent les dispositions de l’article 124 alinéa 2.25 Si l’Acte uniforme reçoit application, il est évincé avec son lot de conséquences. Si on écarte l’application de l’Acte uniforme, la clause de tacite reconduction serait mise en oeuvre et le bail se poursuivrait.
La solution telle que posée par la CCJA dans l’arrêt du 10 juin 2010, en l’état actuel de la Jurisprudence, ne permet pas de faire le distinguo. Mais alors, un texte adopté pour protéger une partie peut-il lui nuire ?
Ainsi s’annoncent déjà les insuffisances de la solution qui s’accentuent si l’on se penche sur son fondement textuel.
II- Une solution contestable quant à son fondement
Pour retenir que l’Acte uniforme doit s’appliquer aux contrats conclus avant son entrée en vigueur, les Juges de l’OHADA, aussi bien ceux de la Cour d’Appel de Port Gentil que ceux de la CCJA ont fondé leur raisonnement sur l’article 10 du Traité. Cette démarche nous parait forcée à l’analyse de cet article (A). Quand on remarque que ce forçage ne résout d’ailleurs qu’en partie le problème posé, il devient plus que nécessaire de rechercher d’autres fondements à la solution de l’application immédiate (B).
A- Un fondement textuel au forceps
24 Supra, note n°10.
25 Selon ce texte, « le preneur qui n’a pas formé sa demande de renouvellement dans le délai de trois mois avant l’expiration du bail est déchu de son droit au renouvellement. »
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Selon les Juges ayant rendu les deux décisions précitées, l’article 10 du Traité OHADA poserait le principe de l’application immédiate des Actes uniformes aux contrats en cours avant leur entrée en vigueur.
C’est un raisonnement un peu forcé à notre avis. Aux termes de ce texte, « Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toutes dispositions contraires de droit interne antérieure ou postérieure ». Contrairement aux idées reçues26, ce texte ne résout pas, en réalité, la question de l’applicabilité des Actes uniformes aux situations juridiques nées avant leur entrée en vigueur. Il énonce plutôt le principe de l’application directe et le caractère obligatoire des Actes uniformes. Il y a, nous semble-t-il, une confusion, soit entre « directement applicable » et « immédiatement applicable », soit entre le caractère obligatoire des Actes uniformes et leur applicabilité immédiate.
Dans la première hypothèse, il y a confusion parce que le principe de l’application directe règle une question d’introduction d’une norme internationale ou communautaire dans l’ordre juridique interne. Elle implique que la norme internationale ou communautaire n’a point besoin d’une procédure spéciale avant de recevoir application dans les Etats, comme c’est le cas pour les Directives ou les Déclarations par exemple. Il signifie donc que les Actes uniformes, dès leur entrée en vigueur, entrent directement (sans formalité ni procédure spéciale) dans l’ordonnancement juridique de chaque Etat partie27. Certes, en l’absence de toute procédure nationale d’intégration des Actes uniformes, on pourrait dire aussi qu’ils sont immédiatement applicables, mais cette immédiateté dans leur application s’oppose ici à l’application qui serait retardée par une procédure de réception ou de transposition dans les Etats parties. Elle n’a rien à voir avec les situations juridiques en cours. L’effet direct signifie aussi que les Actes uniformes créent des droits et obligations que les justiciables peuvent mettre en oeuvre directement devant le Juge.
En revanche, le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle règle la question de conflit entre une loi ancienne (qu’elle soit nationale ou communautaire) et la loi nouvelle indépendamment de sa source. Une norme de source internationale peut être d’application directe sans s’appliquer aux situations juridiques nées antérieurement à son entrée en vigueur. Inversement, une norme peut avoir vocation à s’appliquer immédiatement aux situations nées avant son entrée en vigueur (notamment lorsqu’une
26 Certains auteurs à l’instar de Gérard POUGOUE ont également soutenu cette thèse de la CCJA. Selon cet auteur, « En vertu du principe de l’applicabilité immédiate posée par l’article 10 du Traité, les Actes uniformes, dès leur entrée en vigueur, intègrent de plein droit l’ordre juridique des Etats membres de l’OHADA, sans qu’il soit besoin de respecter au préalable une procédure spéciale d’introduction et de réception au plan interne ». Encyclopédie du droit OHADA, page 35, n°40. Nous pensons qu’il y a plutôt là la définition du principe de l’application directe à ne pas confondre avec celui de l’application immédiate.
27 « Les Actes uniformes sont directement applicables dans chaque Etat partie sans qu’une intervention du législateur national soit nécessaire ». Philippe TIGER, Le Droit des affaires en Afrique, éd. Que sais-je ? Page 39.
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disposition transitoire le dit expressément)28 mais nécessiter, en raison de sa nature, une transposition en droit interne avant son application effective.
Tirer donc du principe de l’application directe des Actes uniformes celui de leur application immédiate aux situations nées avant leur entrée en vigueur relève d’un véritable forçage.
Dans la seconde hypothèse, il y a encore forçage ou alors confusion dans la mesure où le caractère obligatoire signifie que les Actes uniformes ne sont pas de simples manifestations d’intentions ni de simples recommandations adressées aux Etats qui auront la liberté d’en faire ou non des lois. Au contraire, ils constituent des lois au sens technique du terme, avec le caractère obligatoire qui le caractérise. Ce n’est pas parce qu’une norme est obligatoire qu’elle sera immédiatement applicable aux situations en cours avant son entrée en vigueur. A titre d’illustration, l’Acte uniforme sur les sûretés, bien qu’obligatoire n’est pas applicable aux sûretés constituées avant son entrée en vigueur29. Pareil pour l’Acte uniforme sur les contrats de transport de marchandises par route.
Les juges de l’OHADA, en particulier ceux de la CCJA ont voulu trouver un raccourci dans le Traité pour adopter la solution de l’application immédiate de l’Acte uniforme aux baux en cours, au lieu d’élaborer un raisonnement plus scientifique.
En somme, il est certes pertinent, en raison notamment de l’intérêt économique de la réforme apportée par l’AUDCG, de le rendre immédiatement applicable aux baux conclus avant son entrée en vigueur, mais le fondement de cette solution trouvé dans l’article 10 du Traité peut être amélioré.
B- La nécessité de la recherche d’autres fondements
Le fondement de l’article 10, en plus d’être forcé, ne règle pas la question du conflit entre les deux Actes uniformes.
Les baux conclus avant la réforme du 15 décembre 2010 restent-ils soumis à l’Acte uniforme de 1997, ou reçoivent-ils application des dispositions postérieures de l’Acte uniforme entrée en vigueur le 15 février 2011 ?30
Ici, l’échappatoire de l’article 10 est inopérante, les deux textes en conflits étant tous des Actes uniformes pareillement obligatoires et directement applicables dans les Etats parties.
28 Parfois avec une période d’adaptation. C’est le cas de l’AUSCGIE en ses articles 907 à 915.
29 Supra, note n°9.
30 Certes, le nouvel Acte uniforme abroge l’ancien. Mais le problème demeure puisque la loi sous l’empire de laquelle un contrat est conclu, même abrogée, survit juste pour ce contrat jusqu’à l’épuisement de ses effets. C’est le sens du principe de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle.
Revue Togolaise de Droit des Affaires et d’Arbitrage, N° 17, Janvier 2019, pp. 12-18
Devra-t-on préférer le texte de 2010 à celui de 1997 pour un bail conclu par exemple en 2000 ? Dans l’affirmative, sur quel fondement ?
Ces interrogations rendent indispensable une construction plus aboutie du Juge de l’OHADA.
Si on considère comme facteur déterminant le contexte d’insécurité dans lequel le Traité a été signé, le motif impérieux d’intérêt général rendant immédiatement applicable l’Acte uniforme aux baux conclus avant son entrée en vigueur serait pertinent, dans le conflit entre l’Acte uniforme et le droit national antérieur, mais ne pourra servir dans l’hypothèse de conflit entre les deux Actes uniformes. Si ce fondement tiré du motif impérieux d’ordre public est, en tout état de cause, meilleur par rapport à l’article 10 du Traité, il reste tout aussi insuffisant.
Dans ces conditions, la notion de statut légal semble être l’une des portes de sortie. Il n’est, en effet, pas contesté que l’Acte uniforme a consacré un statut du bail commercial devenu bail professionnel. Ce statut légal qui s’impose aux contractants doit recevoir application dès lors qu’ils choisissent de conclure ou de demeurer dans le lien contractuel auquel il est attaché. Lorsque la loi améliore ce statut, il est tout à fait évident que le nouveau statut « amélioré » reçoive aussi application immédiate. On pourra alors être d’accord avec Sylvain MERCOLI lorsqu’il écrit que « la bonne réception de la politique législative commande que la règle nouvelle lorsqu’elle confère un progrès sur la précédente, ne puisse pas être méconnue par une convention particulière conclue avant l’entrée en vigueur du texte nouveau ».31
En définitive, le fondement du statut légal parait plus pertinent.
Nous garderons, malgré tout, un petit pincement au coeur à l’idée de voir évincer le preneur, négligent ou non, qui verra sa clause de reconduction tacite inopérante, alors qu’il n’a pas régulièrement mis en oeuvre son droit au renouvellement du bail. S’il est de bonne foi, il n’est pas exclu cependant que le Juge fasse appel à la règle selon laquelle l’application d’un texte ayant vocation à protéger une partie ne saurait nuire à celle-ci. Ce qui pourrait encore faire couler beaucoup d’encres et de salives.
Au demeurant, une intervention du législateur communautaire est plus souhaitable, pour fixer les uns et les autres. La sécurité juridique en sortirait grandie.
31 Sylvain MERCOLI, op.cit. Page 293.

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